Résumé de la thèse :
Certains accidents miniers et post-miniers sont marquants par leur ampleur. En France, les effondrements du bassin lorrain dans les années 2000 ont marqué les esprits. Toutefois, des risques plus discrets, comme les pollutions, affectent les territoires post-miniers au quotidien. Dans les Cévennes en particulier, où l'héritage minier houiller et polymétallique laisse des impacts économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux persistants, les conséquences locales sont encore vives.
Un tel contexte questionne l’habitabilité des territoires post-miniers en Cévennes, que nous avons choisi de traiter en questionnant les savoirs et ignorances (volontaires ou non) relatifs aux perturbations post-minières :
Comment les processus d’(in)visibilisation des perturbations liées à l’après-mine participent-ils à l’habitabilité des territoires post-miniers en Cévennes ?
Une variété de méthodologies a été nécessaire pour aborder les nuances de ces habitabilités : revue de littérature scientifique et médiatique sur les territoires étudiés, entretien semi-directifs et diverses observations de terrain, ainsi qu’un projet de recherche-création nous ont permis d’enquêter à l’échelle territoriale et à l’échelle intime.
Ce travail en sociologie de l’environnement que la définition de l’habitabilité d’un territoire post-minier est plurielle et construite. Elle se fonde notamment sur la présence et l’ampleur des perturbations post-minières, mais aussi sur les connaissances et savoirs que les acteurs en ont, les adaptations (collectives et personnelles) mises en place et le rapport intime aux perturbations de chaque habitant. En d’autres termes, l’habitabilité est à la fois vécue (au sens de matérielle) et perçue (au sens d’idéel, symbolique).
Nous montrons notamment que l’invisibilité des perturbations post-minières nuit à l’habitabilité vécue du territoire post-minier ; que l’invisibilisation des perturbations environnementales dans les paysages, et donc des risques sanitaires induits, augmente l’habitabilité perçue ; que les relations interpersonnelles, notamment entre experts et profanes, ont un rôle décisif sur l’habitabilité d’un territoire post-minier.
Cette recherche nous permet de préciser la notion de « vivre avec » l’après-mine et ses perturbations. Il s’agit à la fois de petits arrangements, de bricolages du quotidien, mais aussi « d’alchimie pragmatique » (transformer les risques liés aux métaux en opportunités) créatrice d’une ignorance d’abord salutaire (parfois volontaire) de l’environnement toxique. Nous montrons en effet que la prise en charge des restes miniers, la familiarité des habitants avec la pollution, leur refus de vivre dans l’angoisse et les efforts de reconversion du territoire sont autant de paramètres participant à l’invisibilisation progressive des pollutions post-minières. En résulte une augmentation de l’habitabilité perçue au fil du temps mais aussi, de manière paradoxale, l’émergence de nouveaux risques liés à l’oubli des restes miniers.
Ces résultats sur l’habitabilité actuelle des territoires après-mine dessinent la trajectoire d’un « habiter » au conditionnel, dépendant de la capacité des acteurs à produire un récit sur un futur désirable à partir de la mémoire passée et de la reconnaissance des dynamiques présentes, de transmission de connaissances ou d’ignorance, mais aussi de souffrance et de justice socio-environnementale.
Abstract :
Some mining and post-mining accidents are striking due to their scale. In France, the collapses in the Lorraine basin in the 2000s left a lasting impact. However, subtler risks, such as pollution, affect post-mining territories daily. In the Cévennes, the legacy of coal and polymetallic mining leaves persistent economic, social, health, and environmental impacts, with local consequences still felt today.
This context raises questions about the habitability of post-mining areas in the Cévennes, a theme we chose to examine by questioning the knowledge and ignorance (intentional or not) surrounding post-mining disruptions: How do (in)visibilisation processes of post-mining disruptions contribute to the habitability of post-mining territories in the Cévennes?
A variety of methodologies was essential to explore the nuances of these habitabilities: scientific and media literature reviews on the territories studied, semi-structured interviews, field observations, and a research-creation project allowed us to investigate both territorial and intimate scales. This environmental sociology work argues that habitability in a post-mining context is plural and constructed. It depends on the presence and scale of post-mining disruptions and on the local knowledge and understandings of these issues, as well as collective and individual adaptations and each inhabitant’s personal relationship to these disruptions. In other words, habitability is both lived (in a material sense) and perceived (in a symbolic sense).
Our research shows that the invisibility of post-mining disruptions undermines the material habitability of post-mining areas, while the invisibilization of environmental disruptions and associated health risks in landscapes increases perceived habitability. Interpersonal relationships, especially between experts and laypeople, also play a decisive role in the habitability of post-mining territories.
This study refines the concept of "living with" post-mining and its disruptions. It involves both minor daily adjustments, practical "tinkering," and a kind of "pragmatic alchemy" (transforming metal-related risks into opportunities), fostering a kind of initially beneficial ignorance (sometimes intentional) of the toxic environment. We demonstrate that the management of mining remnants, the residents’ familiarity with pollution, their refusal to live in constant fear, and efforts to reconvert the area all contribute to the gradual invisibilization of post-mining pollution. This results in an increase in perceived habitability over time, yet paradoxically brings new risks linked to the disregard for mining residues.
These findings on the current habitability of post-mining territories trace the trajectory of a "conditional inhabitation," depending on the actors’ ability to create a narrative for a desirable future based on past memory, recognition of present dynamics, knowledge transmission or ignorance, as well as on issues of suffering and socio-environmental justice.